Datarama : Ian Ardouin-Fumat – Nouvelles représentations, nouvelles narrations

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Ian Ardouin-Fumat est information designer et  travaille à New York pour The Office for Creative Research. Cette société emploie une douzaine de personnes qui viennent d’univers différents et qui ont tous comme points communs la créativité et la passion pour la programmation. The Office for Creative Research crée des visualisations allant d’un style « classique » jusqu’à des représentations empruntant d’une forte dimension artistique.

« Le sujet que je vais aborder est celui des nouvelles représentations et des nouvelles narrations. Ce sujet implique la notion de storytelling, qui consiste à prendre des données, en extraire des images, des histoires pour convaincre les gens de passer à l’action.

Pour illustrer cette notion, j’ai choisi d’évoquer un projet du nom de Great Elephant Census (Le Grand Recensement des Éléphants). Une équipe de scientifiques est ainsi partie en Afrique pendant trois ans pour compter les éléphants, selon un procédé très fastidieux. OCR a été ensuite chargé de créer un site Internet pour conter cette aventure merveilleuse, pour raconter au grand public cette histoire dans toute la complexité d’un continent immense et présentant une énorme diversité. En revanche, la forme storytelling a été frustrante pour moi : on raconte une histoire, le résultat est beau, entraînant, mais il y a là quelque chose de très unilatéral, qui tient à l’essence même du storytelling.

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Comment peut-on aller plus loin ? Comment ne pas se contenter de fournir des réponses toute faites aux gens, mais au contraire de les laisser explorer l’information ? Comment dépasser l’outil de communication pour aller vers un outil qui pose des questions ? Les 3 projets que je propose de vous présenter comportent autant de pistes de réflexion :

– Et si la visualisation de données permettait d’avoir plusieurs histoires ?

– Et si, plutôt que d’avoir quelque chose de très linéaire, on montrait toutes les étapes du processus, pour apporter davantage de transparence ?

– Et si on embrassait la nature de nos outils pour en nourrir notre processus créatif?

Le premier projet s’intitule « Cloudy with a chance of pain ». L’idée est de partir du mythe urbain selon lequel les gens atteints de l’arthrose peuvent prédire les intempéries à venir en fonction de la douleur ressentie dans leurs articulations. Cette croyance populaire n’a jamais été prouvée par la science, du fait du manque de données. Le projet a été mené à l’université de Manchester par un rhumatologiste qui s’est intéressé à ce lien de corrélation entre la météo et l’arthrose. Ce professeur est allé voir une entreprise de design qui a permis à ses patients d’enregistrer dans une application toutes sortes d’informations concernant leur ressenti sur leur état de santé. En plus de ces données, l’application récupère aussi la géolocalisation des patients ainsi que les données météo  au moment où sont enregistrés leurs symptômes.

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C’est à ce moment qu’OCR est entré en jeu. On a réalisé une interface de visualisation en ligne qui permet à chaque patient de situer leurs symptômes par rapport aux autres.. Les infographies créées ont permis d’interroger les données qui nous sont parvenus et d’établir entre elles des corrélations. Le dernier prototype auquel nous sommes arrivés s’intitule « Citizen Science Project ». Sa particularité est qu’il ne dit pas s’il y a effectivement une corrélation entre la météo et les symptômes ressentis, il laisse les utilisateurs se faire leur propre opinion et de la partager avec l’équipe de recherche. Les utilisateurs  remplissent un questionnaire dans lequel ils indiquent de quelle manière ils pensent que la météo influe sur leurs symptômes. On leur post ensuite la même question à l’échelle de toute la nation. On peut ainsi comparer les formes des deux paysages graphiques représentant à la fois leurs symptômes ainsi que les conditions météo. Si elles sont similaires, cela laisse envisager une certaine corrélation. Ce projet montre la valeur d’engager des personnes en les impliquant dans le processus : on a là une audience qui accède à l’information et joue avec elle pour lui donner du sens.

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Le deuxième projet, Floodwatch, est un outil de collectes de données participatives et a pour objectif de donner de la transparence à un système  opaque. On s’est intéressé au processus de ciblage de la publicité en ligne. On donne aux usagers la possibilité de voir comment cela fonctionne, de participer à la collecte et mise en forme d’informations, et ainsi de comprendre dans quel système ils se trouvent. Que faire avec un data set énorme ? Sont mis en évidence les aspects de classification (exemple : par similarité de produits), la corrélation avec l’origine géographique des personnes, le genre, la provenance culturelle. Il s’agit de comprendre la façon dont se compare le profil de chacun, ainsi que ce qui nous rend unique en tant que consommateur.  Le système devient moins opaque.

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Avec le projet suivant, intitulé « A sort of joy », il s’agit d’utiliser un outil technologique non pas comme une contrainte, mais comme un potentiel créatif. Ce projet a eu lieu dans le contexte de la résidence d’artiste du Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Notre travail s’est basé sur la base de donnée décrivant la collection du MoMA par le biais de métadonnées: on y trouve le nom de chaque oeuvre, le nom de son auteur, la date de sa création, le médium utilisé, mais pas d’image. Les considérations esthétiques étaient mises de côté pour mieux nous intéresser aux politiques du monde de l’art, et du MoMA en particulier. Nous avons donc posé différentes questions à cette base de données à l’aide d’outils créatifs. Par exemple, on a cherché à savoir quels étaient les prénoms des artistes les plus communs dans cette base de données, ou encore quelles sont les oeuvres d’arts qui contiennent, dans leur titre, des grossièretés. On lui a également demandé de générer des compositions poétiques à partir du nom des oeuvres. Cela devient un outil qui génère de la prose et de la poésie, qui est presque un instrument dont on peut jouer. Une troupe de théâtre a effectivement ensuite donné vie aux données de la collection du MoMA. Ce projet  a une valeur assez différente du précédent car ici ce n’est pas tant la question de l’audience qui compte, mais celle de l’utilisation complètement inattendue d’un outil créatif. Il s’agit donc de prendre conscience des biais technologiques avec lesquels on travaille et d’en faire ressortir le potentiel créatif.

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Le dernier projet s’appelle « Into the Okavango ». Il a été réalisé en partenariat avec National Geographic qui, tous les ans, envoie des explorateurs dans cette région du Botswana. Il s’agit d’une terre très intéressante car elle est l’une des réserves naturelles les mieux conservées au monde. . Ces explorateurs sont munis de capteurs et prennent en photo des paysages, la faune, la flore pour saisir toute la complexité des écosystèmes dans lesquels ils se trouvent. Ces sources de données très diverses et très riches nous parviennent en temps réel.

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On n’est pas seulement dans l’immersion, dans une expérience très viscérale : la beauté de ce projet va plus loin. Il permet aux gens d’accéder à la richesse des informations disponibles. Plutôt que de créer une API, on a réalisé une interface simple qui permet de visualiser l’information de manière à ce que tout le monde puisse y accéder. L’idéal, pour nous, c’est que ce projet vive de lui même, que les données dépassent leur cadre d’origine, que les gens se les réapproprient, que n’importe qui se sentant concerné par ce sujet puisse en faire quelque chose que nous n’avions pas prédit. Nous sommes actuellement en lien avec des classes de collège qui sont en train d’expérimenter; L’idée est que notre propre travail puisse nous dépasser, que d’autres s’en emparent. En effet  Le projet est totalement en open source. Chacun peut donc accéder à nos capteurs et créer sa propre expédition connectée.

Pour devenir un outil honnête, la visualisation de donnée doit dépasser son élitisme. Elle doit devenir démocratique.”

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