M. Gioani : Datarama – Data et expérience utilisateur en business intelligence
septembre 29, 2016 par Zélia DARNAULT
La transparence dans le brouillard
Matthieu Gioani est responsable de l’offre Datavisualisation (UX for data) et consultant digital et innovation chez EXL Group/Talan, une entreprise fondée en 2002, qui emploie 1500 personnes dans le monde et qui accompagne les transformations agiles et digitales de ses clients, dont celles qui touchent à la business intelligence. Parallèlement, Matthieu Gioani exerce une activité d’enseignant à l’École de design Nantes Atlantique, à Audencia et à l’Université de Bretagne. Il est intervenu lors de la journée d’études Datarama consacrée à la visualisation de la donnée pour parler de données et d’expérience utilisateur. Morceaux choisis.
Matthieu Gioani :
« Avec cette intervention, mon ambition est de vous faire prendre conscience que la représentation des données est l’affaire de tous, et pas uniquement des designers. Tout le monde a un rôle à jouer dans le domaine de la visualisation de l’information.
Tout d’abord, intéressons-nous à quelques notions. En premier lieu, qu’est-ce que le design ? C’est l’association d’une forme et d’une fonction au service d’un utilisateur. L’UX design désigne l’expérience utilisateur. Il y a une différence entre concevoir l’expérience et concevoir le produit. C’est, par exemple, la différence entre la bouteille de ketchup Heinz en verre, un beau packaging mais peu pratique, et la bouteille de ketchup Heinz en plastique. Avec cette dernière, on s’est interrogé sur la façon de réguler le flux de ketchup, on a pensé le produit dans son ensemble pour qu’il satisfasse l’utilisateur tout au long du cycle de l’utilisation. On l’a pensé selon les principes de l’expérience utilisateur.
Quand on travaille sur le design, et donc sur le numérique et sur la conception d’interfaces, il y a différentes strates à prendre en compte : l’aspect visuel, le squelette, la structure, les fonctionnalités et enfin la vision stratégique. Pour Stéphane Vial, l’expérience utilisateur : « C’est un design qui se vit, qui s’éprouve, s’expérimente. L’utilisateur en ressent immédiatement l’effet parce que son expérience s’en retrouve instantanément transformée, améliorée, augmentée ».
Et si on applique ces principes d’expérience utilisateur à la donnée, qu’est-ce que cela produit ? Dans le monde de la business intelligence, on est là pour aider les gens pour lesquels on travaille à passer à l’action. On part donc d’une donnée brute qui devient une information dès lors qu’elle est interprétée pour être assimilable. Cette information, reliée à un contexte pour lui donner du sens, devient alors de la connaissance, et cette connaissance devient un levier pour l’action.
On va donc faire appel à la visualisation des données afin d’attirer l’attention, d’améliorer la compréhension, de faciliter la mémorisation, le tout pour prendre les meilleures décisions possibles. Il s’agit donc de communiquer clairement des données chiffrées, de donner du sens à la complexité dans le but de passer à l’action. Avant, cette donnée était souvent présentée sous la forme de tableaux chiffrés sans trop de sens, exceptés pour les spécialistes. Aujourd’hui, on cherche à donner du sens pour que les utilisateurs puissent la comprendre et prendre les bonnes décisions.
Pourquoi intégrer du design dans la manière d’utiliser les données ? D’abord, parce qu’on n’a pas pensé à l’utilisateur quand on a fait des tableaux chiffrés complexes. L’utilisateur n’est pas respecté, je dirai même qu’on le maltraite. Ensuite parce que l’utilisateur n’est pas satisfait : 70% des projets en business intelligence n’apportent pas la valeur attendue par l’utilisateur. L’utilisateur est également mal compris dans son fonctionnement : on a oublié ses désirs profonds et ses attentes. C’est ce que l’on appelle la psychologie du dashboard qui fonctionne selon trois principes : le besoin et le sentiment de contrôle, la gestion de la mémoire à court terme et la facilité d’utilisation.
Enfin, le dernier intérêt à intégrer du design dans la manière d’utiliser les données, c’est que 90% du stock mondial de données a été créé ces deux dernières années. Il y a donc une avalanche d’informations qu’il faut exploiter.
Comment, dès lors, rendre la donnée plus « humaine » ? Nous utilisons une démarche qui s’inspire du lean UX. C’est une méthode en double diamant, avec des phases de divergence et de convergence. La première phase est une phase d’exploration. Par exemple, on va se demander comment améliorer le reporting des ventes de cola pour aider les commerciaux, sur le terrain et au siège, à prendre les bonnes décisions sur les activités quotidiennes. Voilà notre problématique de départ, à partir de là nous allons poser des questions à l’utilisateur, le commercial de cola, pour comprendre ses problématiques et en faire des cas d’usages. Par exemple, il se pose la question suivante : « dans quels magasins de la région Ouest les bouteilles de cola de 1,5L ne sont plus disponibles et depuis quand ? ». Cela nous permet d’avoir des informations concernant le où, le combien et le quand. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir quelles actions va faire l’utilisateur quand il aura dans les mains ces informations visuelles et comment cela va l’aider à lancer un ensemble d’actions. On va essayer de comprendre l’utilisateur, créer des personas pour synthétiser notre compréhension, réaliser des maquettes et formuler des hypothèses. On va donc poser des hypothèses de conception qu’on va venir valider ou invalider. Puis on va prototyper, et pour cette phase on va s’intéresser au processus cognitif, au fonctionnement du cerveau. La perception visuelle doit faciliter l’attention de l’utilisateur, sa compréhension et sa mémorisation.
On va travailler sur l’architecture de l’information, l’affichage des données, les aspects cognitifs, l’ergonomie et le graphisme. Il faut également bien connaître les outils avec lesquels on travaille parce qu’ils ne sont pas flexibles à souhait. On va donc prendre la contrainte de l’outil comme un avantage dans notre phase de recherche visuelle et s’appuyer sur un binôme constitué d’un designer et d’un expert de l’outil.
Vient ensuite la question de la représentation que l’on va choisir pour afficher les données. La première question à se poser c’est pourquoi on doit représenter des données ; cela aidera ensuite pour choisir la forme. Par exemple, un diagramme en camembert est un type de diagramme répandu mais il est difficile de lire les étiquettes et de comparer les données entre elles. Pour un diagramme en bâton, les données sont plus lisibles et la comparaison est facilitée par la représentation. En général, quand on a besoin de données quantitatives précises que l’on veut comparer entre elles on va davantage utiliser le tableau. Quand on doit identifier des tendances, des patterns ou des exceptions on privilégiera le graphique. Quand on doit identifier des corrélations on pourra utiliser soit le graphique, soit le tableau. On passe ensuite à l’étape du prototypage pour laquelle on va utiliser des supports papier, numériques et des logiciels.
Il est important que les utilisateurs puissent avoir la main très facilement sur les outils et puissent s’exprimer visuellement, c’est pourquoi on privilégie l’usage de powerpoint et de keynote. Avec ces outils, on donne aux utilisateurs, qui sont experts sur leur métier, le pouvoir de dialoguer visuellement avec nous. Finalement, notre restitution visuelle on la pense comme un service, on lui applique une logique narrative qui est celle du scénario d’usage.
Quels sont nos rôles et nos postures ? Je vais les illustrer avec des cas concrets. Nous avons 5 rôles majeurs :
– Un rôle de chercheur d’or : on va donc chercher les pépites d’or. C’est le cas par exemple d’un acteur de la santé qui va chercher comment valoriser les infos qu’il a et imaginer des services avec les données, en créant de nouveaux business modèles.
– Un rôle d’éditeur : on vient en appui de nos clients, on vient les aider à structurer, à donner une logique. Par exemple, l’INPI a une problématique d’optimisation de temps sur la chaîne de dépôt de brevet. Ils nous ont demandé de mieux visualiser les flux.
– Une posture d’activiste : on milite pour la transparence et la rigueur dans l’analyse des données et de l’information. On pense qu’on peut faire mentir les données très facilement, on milite donc pour la transparence, la rigueur et la clarté.
– Une posture d’éducateur : on va accompagner nos clients sur la formation. On a créé un jeu de cartes UX data qui permet de comprendre comment on choisit les visualisations et quelle est leur pertinence en fonction des usages. Notre idée est de redonner du pouvoir de conception au développeur et au concepteur. On veut faire monter en expertise et en autonomie nos clients : c’est le principe de recapacitation.
– Un rôle de médiateur : le design est un langage visuel commun pour faire passer des messages. Il permet d’exprimer ce que l’on veut visuellement et d’en faire un support d’échanges et de dialogues. Ce sont cette étape de co-conception et cette expression visuelle sur des besoins qui servent de matière.
En conclusion, on peut citer Tim Brown (IDEO) : « le design est trop important pour être laissé aux seules mains des designers ». La représentation des données est donc l’affaire de tous, elle peut simplement débuter par un petit dessin avec un papier et un crayon ».
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