Smart grids : quelles solutions pour des économies d’énergie ?
novembre 24, 2015 par Zélia DARNAULT
Le 20 octobre dernier, la chaire Environnements connectés Banque Populaire Atlantique – LIPPI a accueilli Christelle Capdupuy, directrice développement durable, Bouygues Immobilier, Olivier Sellès, responsable énergie et smart grids, Bouygues Immobilier, et Julien Dossier, économiste, Quattrolibri. A travers l’exemple de l’expérience pilote sur les économies d’énergie et du bâtiment IssyGrid, ils ont évoqué les promesses, mais aussi les limites des smart grids, autour de la question : comment les environnements connectés, les smart grids, croisent les enjeux de la ville durable ? L’atelier Iceberg, qui travaille sur l’accompagnement de la collecte à la visualisation de données, a également fourni un éclairage sur la question des smart grids et des data en général.
Morceaux choisis.
– Thomas Busson et Marion Lefeuvre, de l’atelier Iceberg, qu’est-ce qu’on entend par smart grids ? En termes de méthodologie, présentez nous cette approche par les datas.
A l’atelier Iceberg, on est spécialiste dans la datavisualisation. Nous avons mis en place une démarche pour aider à l’innovation à partir des données. Alors quel est le rôle de ces dispositifs connectés pour les économies d’énergie ? Pour nous la question est plutôt, comment alimenter la réflexion stratégique grâce au data design ? C’est-à-dire comment la représentation des données peut aider une entreprise à prendre les bonnes décisions. Pour cela, nous avons un triptyque. Nous travaillons avec une entreprise qui vient collecter la donnée. Une fois cette donnée collectée et mise en forme, nous allons la présenter, la restituer. Enfin, grâce à cette restitution nous amenons l’entreprise à réfléchir à ce qu’on fait de ces données, comment apporter du sens et de nouveaux services. Nous essayons de représenter l’environnement concurrentiel. Cet environnement concurrentiel comprend les publications scientifiques, les brevets, les news corporate, ce qui nous permet d’envisager du temps long de la recherche à aujourd’hui. On peut ainsi suivre l’évolution d’une thématique, d’un sujet sur à peu près 10 ans. On met ensuite en place des visualisations, qui peuvent être interactives, et aider à une réflexion sur la stratégie et l’amélioration des services. Ces données vont venir valider les hypothèses des entreprises ou leur faire découvrir des tendances, des signaux faibles … Ensuite, ils peuvent générer des nouveaux services. Qu’est-ce qui se passe dans les smart grids ? Sur ces 5 dernières années, en ne prenant que la thématique des smart grids on a 2787 publications scientifiques. Comment évoluent les centres d’intérêt de la recherche au fil du temps sur ce sujet ? Sur quoi les chercheurs travaillent quand ils utilisent le concept de smart grids ? En évaluant ces données, on peut déterminer quels sont les concepts de fond, les tendances émergentes ou les signaux faibles. Les concepts de fond, ceux dont on parle depuis un certain nombre d’années et qui nous permettent de définir les smart grids sont donc l’énergie renouvelable, la sécurité, l’optimisation, les microgrids. Pour ce qui est des tendances émergentes, on s’aperçoit qu’on est sur les notions de réseaux de capteur sans fil, de simulation, de génération distribuée, de vie privée, de stockage d’énergie, de rechargement intelligent. Enfin, les signaux faibles concernent les domaines du gridable vehicle, de la prédiction, du marché énergétique, du bruit, du data mining, des réseaux de distribution radials. Alors que faire de ces données, comment les réimpliquer et les réinjecter dans un problème ? La data visualisation fonctionne comme un levier de créativité pour une réflexion prospective. Il s’agit de partir de ces données pour voir comment on pourrait faire différemment et mieux. Le but est donc avant tout d’apporter du sens.
– Olivier Sellès, on voit avec la présentation d’Atelier Iceberg que les smart grids sont un sujet d’actualité, très attendu. Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet et la démarche IssyGrid ?
Pour nous le smart grid va permettre d’intégrer le renouvelable, mais ce n’est pas notre coeur de métier. En revanche, le smart grid va beaucoup nous servir quand on fait des quartiers mixtes, logements, bureaux, commerces. Ces typologies ne consomment pas l’énergie au même moment, ce qui va nous permettre de déployer des infrastructures (en termes de réseaux câblés) plus réduites, moins chères.
– Le smart grid ne fait donc pas baisser la consommation d’énergie ?
En tant que promoteur, on a plein de labels BBC. Maintenant le logement neuf ne consomme quasiment rien. Baisser les consommations d’énergie avec un smart grid ce n’est donc pas le but, car il n’y a pas grand chose à faire baisser, le reste est déjà optimisé. Ce qui importe plus c’est l’écrétage, le fait d’avoir des réseaux d’énergie plus modestes, dans lesquels on va éviter les pointes de consommation. Les réseau est dimensionné par la pointe. Quand vous voulez connecter votre maison, l’énergéticien vous demandera votre consommation au pire moment. C’est ce pire moment qui va déterminer la taille du tuyeau qui va vous amener de l’énergie et donc le coût de l’abonnement. Si on écrète, on réduit la taille des réseaux et donc le coût de l’abonnement.
– Donc la vraie dimension de la smart grid c’est la question de l’usage ?
La technologie aujourd’hui est au point. On a mis au point des systèmes qui économiquement sont rentables pour permettre de baisser la facture des habitants. Par contre on a des données en temps réel qui remontent et on a du mal à savoir quoi en faire, parce qu’on a commencé par la technologie avant de se dire comment et pourquoi on allait l’utiliser. On aurait mieux fait de commencer par : quel est le problème et quelle technologie je prends. Il y a plein de choses à faire qui dépassent le smart grid, et c’est pour ça que pour moi le smart grid c’est juste la porte d’entrée de la maison qu’est la smart city. On met au point un smart grid, mais après on a besoin de gens qui nous aident à réfléchir sur la smart city en commençant par le pourquoi. Ensuite on pourra aller facilement sur le comment et le quoi.
– Julien Dossier, une réaction sur ce sujet ?
A ce stade on pose la question des usages. Je vais vous donner quelques mots et on va voir si vous en faites le même usage que moi : « ossature urbaine », « coeur de ville », « centre névralgique », « artère urbaine », « poumon vert », « ventre de Paris », « ceinture maraîchère », « pied d’immeuble », « bras de rivière », « isolation double peau ». Que peuvent nous inspirer toutes ces expressions ? Il est intéressant d’observer que notre vocabulaire décrit la ville comme un être vivant, avec une partie rigide fixe, une infrastructure, une ossature qui s’organise avec des grands pôles de fonctions, de même qu’on a des fonctions vitales, et qui sont reliées les unes aux autres par des flux. On a à ce stade sous exploité la richesse du vocabulaire qui exprime ce qu’est une ville. C’est peut-être le moment de s’interroger sur cette compréhension de la ville, sur ce qui s’y passe et ce qu’elle est. Ça me semble important pour aujourd’hui d’imaginer que l’infrastructure et les usages dont on parle quand on évoque les smart grids c’est probablement l’enfance de l’art dans la compréhension systémique qu’on peut faire d’une ville et de ce qui s’y passe. On découvre progressivement les champs d’application de cette question de la place de l’énergie dans la ville, en partant d’un compteur, de vaiables où on va cumuler des postes de consommation énergétique avec de la dépense directe et indirecte. Se pose aussi maintenant la question de notre facture alimentaire, car l’alimentation c’est aussi de l’énergie : aujourd’hui les fruits, les légumes ou la viande que l’on achète c’est aussi du pétrole. C’est important de voir que cette énergie on va pouvoir la calculer de manière directe et indirecte par couches concentriques. On est dans cette découverte de l’intégration des différentes données avec des enseignements qui sont nouveaux. De même, on s’est rendu compte qu’on est parti d’une approche sur l’enveloppe du bâtiment à une approche plus intégrée. En effet, si on fait un beau bâtiment BBC mais qu’il n’est pas relié aux réseaux de transports on ne fait que déplacer la dépense énergétique sur un autre poste. C’est une question qui se pose aussi au niveau de la chaîne logistique d’alimentation de la ville, puisque selon le choix d’alimentation on n’a pas la même filière d’approvisionnement. On en vient à une question de programmation qui n’est pas une question purement d’ingénieurs. On ne peut pas écrire le programme à l’avance parce que notre vie est faite d’aléas, d’incertitudes, d’accidents, de phénomènes climatiques plus ou moins prévus. La vie urbaine est largement imprévisible. Donc cette notion de programmation c’est cet équilibre entre l’apprentissage des différentes variables qu’on intègre dans ce nouveau code, l’apprentissage des usages et l’apprentissage de l’incertitude. On voit que c’est compliqué parce q’on a besoin d’équiper des systèmes avec des choses qui se connectent les unes aux autres, ou non. Et puis on doit laisser de la flexibilité pour intégrer des choses qu’on n’a pas anticipées ou prévues et qui doivent pouvoir s’agréger. Se posent donc aussi les questions de format de données, de gestion de la propriété intellectuelle, d’interopérabilité, d’évolutivité, de pilotage, de cadre de gouvernance, etc.
– Christelle Capdupuy, on a tendance à mélanger un peu les choses entre smart city et smart grid. Quelles distinctions pouvons-nous faire ?
Effectivement, on a tendance à penser que smart city, smart grids c’est la même chose et que smart signifie numérique. Smart ça veut dire intelligent et l’intelligence n’est pas que numérique, elle est collective, humaine, il y a plein d’intelligences possibles. Qui dit smart city ne veut pas forcément dire smart grids et inversement. Il y a deux points intéressants. Aujourd’hui le smart grid permet effectivement de faire du pilotage au niveau des bâtiments et on est arrivé à des niveaux incompressibles. Donc on peut toujours faire mieux mais on va faire mieux sur une couche qui devient de plus en plus fine. Par contre, s’intéresser aux questions qui sont en périphérie du bâtiment c’est quelque chose d’extrêmement intéressant. On peut parler énergie, carbone … Quand vous prenez le cycle de vie global d’un bâtiment ou d’un quartier, vous allez avoir la construction (les matériaux), l’exploitation (la mobilité, l’énergie) et tout ça c’est de l’énergie. 46 % du bilan carbone d’un bâtiment c’est la mobilité durant la phase d’exploitation, viennent ensuite les matériaux et pour finir l’énergie. Donc c’est très bien d’essayer au maximum d’économiser l’énergie au maximum mais si on ne traite pas les 75% restants ça ne sert pas à grand chose. Ensuite, quand on parle de smart city on parle d’habitant. Le smart grid c’est une technologie, c’est un moyen. La finalité de tout ça c’est que l’habitant aime vivre dans sa ville, dans son quartier, dans son bâtiment. Il faut donc bien regarder tout ça avec la question de l’appropriation des données : un habitant qui va faire partie d’un smart grid il va falloir savoir comment il l’accepte, comment il se l’approprie, est-ce qu’il y voit son intérêt. Ça ne sert à rien de mettre une couche de smart grid sans expliquer aux habitants. La question de l’usage, des services découle de ça : comment traiter de manière servicielle ? La question de l’usage est fondamentale. Ce qui compte avant tout quand on réfléchit sur la ville, c’est l’habitant, comment il va s’y sentir. Le smart grid est donc un excellent moyen d’apporter d’autres services. La réponse ne peut être que locale, si elle n’est pas adaptée au territoire existant, si elle ne se maille pas ça ne fonctionnera pas.
– Avez-vous vu des impacts importants en termes d’acceptabilité ?
Christelle Capdupuy :
Suivre des données c’est une chose, mais encore faut-il savoir pourquoi et comment l’expliquer. Très clairement se pose la question de la confiance. Cette question se pose et va se poser de plus en plus.
Olivier Sellès :
Un des points forts d’IssyGrid c’est qu’on a passé beaucoup de temps avec la CNIL pour ne jamais avoir accès aux données personnelles. Les données que l’on va utiliser seront non personnelles, neutralisées et anonymisées. La donnée est un sujet très fort qui ne concerne pas l’énergie mais toute la ville. Nous, on prend la donnée dont on a besoin et qui n’est jamais personnelle.
Julien Dossier :
Il faut aussi se poser la question : quelles données vont nous être utiles. Peut-être pas toutes celles qui circulent, notamment sur les réseaux sociaux, car aujourd’hui on est dans un système d’infobésité. La donnée est partout, tous ces capteurs démultiplient l’information à l’infini. On n’a pas le temps mental de gérer toutes ces données donc on risque d’avoir plein d’informations qu’on va pleinement ignorer. Se pose la question de la scénographie de cette donnée. Il ne faut pas minimiser cette part de la culture, de la mise en scène et de la mémoire.
– À quoi pourrait servir un designer dans ce système de smart grids ?
Christelle Capdupuy :
Au-delà de ce que l’on a déjà évoqué, il y a la question du biomimétisme, c’est-à-dire penser, inventer en regardant ce que la nature a fait de mieux depuis 3,8 milliards d’années. Le design c’est aussi s’appuyer sur tout ce qui fonctionne, regarder tout ça de manière systémique, et nous apporter à nous, experts d’un sujet ou ingénieurs, cette vision très globale. Il s’agit de penser usage et de ne pas penser juste technologie et moyens. On a vraiment besoin des designers.
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