Dans son article « Doctoral Education in Design : Problems and Prospects » (voir article précédent), Victor Margolin mentionnait la diversité des communautés de recherche auxquelles se rattachent les études doctorales en design, en fonction des différents métiers, qui par ailleurs sont organisés en autant d’associations professionnelles. Aux différentes pratiques de métier correspond une recherche qui trouve place dans des institutions et des revues internationales variées (1).
Cette hétérogénéité institutionnelle correspond naturellement en France aux champs disciplinaires universitaires (sociologie, sémiotique, philosophie, esthétique, histoire, sciences de gestion, sciences de l’information et de la communication, sciences de l’éducation…) lorsque que le design est objet d’études. Cela rejoint le domaine des Design studies tel que définit par Victor Margolin dans l’article cité :
Design studies is also an aspect of design research whose territory has yet to be clarified. I would argue, as I have done in the past, that design history can be seen as one strand of a broader field of design studies. Together they investigate design as it was and currently is, concentrating on the production and use of products. Design history, however, focuses on design in the past, while design studies embraces the present as well (2).
Mais depuis les années 60 se sont développés différents courants qui ont défendu le design, au sens générique, comme discipline de recherche scientifique (3). Dans Sciences du design 01, Alain Findeli (04) reprend cette question à partir des débats au sein de la communauté internationale de recherche en design (Board of International Research in Design) depuis les années 80, en particulier autour du designerly ways of knowing de Nigel Cross (5), en proposant d’intégrer la dimension « réception » du design à une proposition essentiellement orientée conception. Il s’agit de considérer que « la façon designerly » de faire de la recherche constitue un positionnement épistémologique qui doit prendre en compte « les interactions homme-environnement dans la perspective d’une écologie humaine généralisée ». La recherche en design devient « la quête systématique et l’acquisition de connaissances relatives à l’écologie humaine généralisée, conçue dans une perspective projective (orientée-projet) ». La quête d’une spécificité épistémologique de la recherche par le design et de méthodologies de recherche en situation de projet se développe maintenant depuis quelques années en France.
Pour autant l’hétérogénéité institutionnelle évoquée plus haut, concernant les différentes disciplines ouvertes aux recherches sur le design, est également de mise lorsque pratique du design et théorie sont associées en modèle recherche-projet (écoles de design ; universités ; écoles d’ingénieur) ou selon d’autres modèles comme celui de la recherche-création plus revendiqué dans les écoles d’art et de design (6), ou encore lorsque le design rentre pour une part dans le champ d’expérimentation d’une recherche portée par une autre discipline, par le biais de différentes types d’outils et de dispositifs qui lui sont spécifiques (7).
L’interdisciplinarité propre au design et l’organisation de la recherche par champs disciplinaires rendent-elles vaines l’établissement de référentiels communs dans les programmes de doctorat en design, comme le suggère Victor Margolin qui défend la nécessité d’établir un corpus de textes de référence :
There is a need to review the history of design research and identify a group of texts that are still seminal to researchers, whether they are historical documents or more recent books and articles. Such texts should form a pool of possibilities for core curricula whose contents can be shared by researchers in different doctoral programs. The purpose of such texts within a research community is to consitute a common heritage to reinforce the idea that design researchers are engaged in a shared enterprise, no matter how diverse their interests. I am not advocating a single core curriculum but rather consideration of a large pool of texts from which individual core curricula can be drawn » (8).
Si la recherche-projet est un cadre fédérateur, il est nécessaire de se demander aussi ce que la littérature sur la recherche en design offre comme socle commun.
De nombreuses questions sont à prendre en compte également autour :
– de la relation entre le travail de design (conception, production et réception des artefacts et services) et la production théorique de savoir
– de l’articulation de la recherche théorique à une pratique, dont la dimension créative et constamment confrontée à la complexité du réel, peut être réticente à une pensée modélisante.
– de l’articulation des protocoles et méthodes de différents champs disciplinaires en situation de projet (9) et des expertises convoquées pour la validation des résultats en situation d’interdisciplinarité (10)
– des formats de la thèse au regard des normes et des systèmes universitaires d’évaluation (11).
Les articles mentionnés montrent qu’une communauté française de recherche en design, ouverte à l’international, travaille à enrichir les débats sur toutes ces questions. La diversité des prises de position et modèles est une de ses richesses et c’est peut-être par la capacité à gérer cette hétérogénéité soulevée au début, que la recherche en design pourra aussi faire reconnaître sa singularité et être force de proposition pour renouveler la recherche.
Notes
1 – voir l’article de Stéphane Vial qui propose une « Revue des revues de recherche scientifique en design », Sciences du design 01 (sous la direction de Stéphane Vial et Alain Findeli), PUR, 2015, P. 119-125.
2 – « Doctoral Education in Design : Problems and Prospects », Design Issues, vol.26, Number 3, summer 2010, p. 76.
3 – voir la synthèse proposée par Stéphane Vial dans son article, « Qu’est-ce que la recherche en design ? Introduction au sciences du design », Science du design 01, 2015, p. 20-33 et l’article sur ce blog.
4 – « La recherche-projet en design et la question de la question de recherche : essai de clarification conceptuelle », Sciences du design 01, 2015, P. 43-55.
5 – « Designerly ways of knowing », Design Studies, vol. 3, Issue 4, p. 221-27.
6 – voir l’article de Lysianne Léchot Hirt, « Recherche-création en design à plein régime : un constat, un manifeste, un programme », Sciences du design 01, p. 35-42 et pour le débat l’article de Philippe Gauthier, « Création contre science en design, les conditions d’un vrai débat : réponse à Lysianne Léchot Hirt, Sciences du design 02, 2015, p. 66-70.
7 – Voir l’article de Robin de Mourat, Ioana Ocnarescu, Anne-Lyse Renon, Marine Royer, « Méthodologies de recherche et design : un instantané des pratiques de recherche employées au sein d’un réseau de jeunes chercheurs », Sciences du design 01, P. 67-73.
8 – op. cit., p. 76.
9 – C’est une question essentielle aussi au niveau de l’enseignement par projet qui est mise en œuvre dans les écoles de design, avec des équipes interdisciplinaires.
10 – Voir l’article d’Annie Gentès qui analyse la « circulation » des concepts et méthodes entre le design et les sciences humaines, « Arts et Sciences du design : la place des sciences humaines », Sciences du design 01, p. 92-105.
11 – Voir l’article d’Émeline Brulé et Anthony Masure, « Le design de la recherche : conventions et déplacements du doctorat en design », Sciences du design 01, p. 56-65.