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Histoire mondiale du design : entretien avec Victor Margolin

Victor Margolin - World History of Design

Victor Margolin, professeur émérite en histoire du design à l’université de l’Illinois à Chicago, vient de faire paraître les deux premiers volumes d’une histoire mondiale du design, World History of Design (Bloomsbury 2015). Le premier commence aux temps préhistoriques pour se terminer à la Première Guerre mondiale (Prehistoric Times to World War 1) et le second couvre la première moitié du XXe siècle (World War 1 to World War 2). Un troisième volume sur la deuxième moitié du XXe siècle à nos jours, est en cours de préparation (1).

Victor Margolin a commencé cet immense travail il y a une quinzaine d’années, après avoir enseigné la discipline pendant plus de 20 ans à l’Université de l’Illinois, à Chicago. Il a par ailleurs cofondé la revue Design Issues au début des années 1980. Ses nombreux écrits s’inscrivent dans une approche interdisciplinaire telle que la défendait l’historien des Annales Fernand Braudel, cité dans son introduction. Il y fait référence également à Lewis Mumford (Technics and civilization, 1934) pour ses recherches sur les rapports entre la culture technique et la culture matérielle dans leur impact sur la vie humaine dans l’espace et dans le temps. Et il s’agit bien pour Victor Margolin d’envisager l’histoire du design, non pas seulement comme une histoire occidentale de la modernité industrielle, mais comme une histoire englobant le spectre très large des activités transformatrices de l’environnement humain au regard des systèmes sociaux, culturels, politiques et économiques dans lesquelles elles sont imbriquées.

Les liens tissés avec des historiens du monde entier au sein de Design Issues participent de ce mouvement pour une histoire interdisciplinaire et mondiale du design dont l’auteur situe les prémisses dans les années 1960. L’entreprise de Victor Margolin, nécessairement érudite (2), suppose aussi une investigation dans ce qui constitue le territoire propre de l’histoire du design par rapport aux autres champs de l’histoire et des sciences humaines invoquées, de justifier les choix des documents, lectures et multiples éléments d’information collectés au cours de nombreuses années de recherche. Mais aucune histoire ne peut prétendre à être définitive nous prévient-il et d’autres auteurs pourront compléter, apporter d’autres perspectives, points de vue… L’histoire est toujours en mouvement. Et ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage que d’encourager les historiens à s’emparer de ces questions.

Entretien :

1 – Vous dites au début du premier chapitre sur la Préhistoire que le terme design peut être employé pour la fabrication des outils dont les premiers hommes ont eu besoin pour assurer leur survie, même si le mot n’est apparu qu’au XVI e siècle. Cette mise en perspective du design pose d’emblée la question de l’interdisciplinarité invoquée dans votre démarche. Dans ce cas précis, en quoi votre approche peut-elle considérée comme spécifique par rapport aux écrits des Préhistoriens ?

Ce n’est pas si facile d’extraire le point de vue spécifique de l’historien du design dans ces époques lointaines, excepté pour mettre l’accent sur certaines questions directement reliées au design. Ma recherche personnelle sur les premiers hommes et les premières civilisations ne comprenait pas d’éléments relevant strictement de l’histoire du design. Mon travail a consisté à étudier l’ensemble de ces périodes en incluant tout ce qui pouvait contribuer à l’histoire que je voulais raconter.

2 –Le terme design commence à être couramment employé par le gouvernement britannique au XIX e siècle, au moment de la préparation de la première grande exposition internationale du Crystal Palace. C’est généralement le point de départ des histoires traditionnelles du design, assimilées à l’histoire du design industriel. En élargissant la notion de design à tout projet mené pour la réalisation d’artefacts, votre étude considère des aspects habituellement traités dans les histoires des arts décoratifs et des arts appliqués ou encore dans les histoires des techniques.

En quoi l’intégration d’autres disciplines historiques dans le champ de l’histoire du design, éclaire t-elle différemment l’histoire et le design.

Vous m’interrogez sur la relation de l’histoire du design avec d’autres champs disciplinaires.

C’est une question difficile à éluder.

Tout d’abord pendant longtemps il y avait cette idée que l’histoire du design couvrait essentiellement la Révolution industrielle et ses conséquences. Des règles étaient définies concernant ce point de départ : la machine  à vapeur, les premières locomotives, les entreprises Boulton et Wedgwood, les machines à filer et ensuite l’évolution de l’ensemble du système de l’entreprise, les prises de position de William Morris, etc.

Cependant, il y a maintenant un intérêt croissant à étendre l’histoire du design bien avant la Révolution industrielle. Le Journal of Design History, publie régulièrement des articles sur ces périodes antérieures et le récent livre de Glenn Adamson, Giogio Riello, et Sarah Teasley sur l’histoire globale du design commence aux alentours du XIV e siècle.

Mon propos a consisté à assurer une transition en douceur incluant une continuité thématique entre la Révolution industrielle et ce qui l’a précédée. Un autre défi était de déterminer quelles sources documentaires et bibliographiques étaient pertinentes pour les années avant et après les Guerres mondiales. Concernant la Deuxième Guerre mondiale, j’ai relié à l’histoire du design des éléments relevant de l’histoire de la technologie, sans faire de différence entre les deux disciplines. J’ai aussi fait appel à l’histoire des sciences de l’ingénieur lorsque les projets le nécessitaient. Cela n’aurait pas fait sens pour cette époque d’ignorer le développement des ordinateurs et des technologies du numérique.

Mon objectif, concernant en particulier la période d’après guerre est d’inscrire l’histoire du design dans le monde moderne, et cela inclut non seulement la technologie, mais aussi le design médical, les nouveaux modes de transport, le design de système, et l’origine des toutes les formes de design qui existent de nos jours – design de la transition, design d’expérience, design d’interaction, design de systèmes, etc.  C’est une grande mission pour l’historien du design mais il n’y a pas de règles définies. La question est de retenir tout ce qui peut être pertinent pour écrire l’histoire du design du monde moderne. Dans mon article, « Design in History » accessible via JSTOR, j’écrivais qu’il était important d’écrire une histoire du design qui serait aussi intéressante et utile pour d’autres historiens, ce qui signifie faire plus qu’écrire sur les arts décoratifs et les objets…  Le design est une discipline au cœur de notre vie contemporaine et notre manière de raconter l’histoire devrait refléter cet état de fait. J’espère y aider.

3 – L’historien Hervé Inglebert (Penser l’histoire universelle, Sciences Humaines, mars 2015, n° 268) dit qu’il faudrait « dépasser l’étape de l’histoire globale pour une « chronique des mondes » rompant avec la téléologie et les visions chronocentrées, l’histoire supposant une vision unifiante qui ne permet pas d’intégrer une diversité des points de vue, différentes postures anthropologiques (par exemple le fait que certaines sociétés on vu le passé comme étant devant eux, le futur étant au contraire derrière).

Que pensez-vous de cette réflexion au regard de votre propre travail ? Quels critères ont présidé à l’organisation de vos chapitres, tant sur les choix géographiques que temporels ?

Mon point de vue est qu’il y a un mouvement global de l’histoire qui peut être éclairé de points de vue singuliers. Par exemple à notre époque, nous vivons dans systèmes variés qui déterminent des règles :

–       les systèmes économiques : la bourse, la banque mondiale, les différentes banques présidant à la circulation des capitaux et des marchandises. Le système capitaliste est déterminant pour tous les pays, et en particulier pour leur économie.

–       Les systèmes sociaux faisant face à différentes problématiques, problème actuel des réfugiés, terrorisme…

–       Les systèmes écologiques, les questions relatives au réchauffement climatique…

Tous ces systèmes sont globaux et nous en faisons partie

J’ai eu un parti pris chronologique dans mon livre, en insérant aussi des cadres nationalistes et régionaux.  A la fin du 3ème volume, j’écrirai un ou deux chapitres dans lesquels je parlerai d’une tendance globale qui touche tous les pays. En d’autres termes s’il y a  des différences entre les pays et les régions par rapport à leur relation à l’histoire, je pense que ces différences coexistent dans un système global universel.


Notes

1 – Cet entretien est paru dans le supplément de  Sciences du design 03, revue éditée aux PUF et  dirigée par Stéphane Vial. Ce numéro 3 , Urbanités numériques, (direction du numéro École de Design-Université de Nantes) est sorti en juin 2016. Son dossier thématique et son dossier Visualisation (sous la direction de David Bihanic) démontrent la pertinence des recherches transdisciplinaires et entrent en résonance avec les questions soulevées au sein de la chaire Environnement connectés Banque Populaire Atlantique-LIPPI de l’École de design Nantes Atlantique.

2 – Victor Margolin expose sa méthode consistant depuis de très nombreuses années à collecter, comparer, rassembler, classer de nombreuses notes sur des travaux historiques du monde entier, avant de commencer un travail d’écriture dans une vidéo en ligne, « The process of writing World History of Design », » [vidéo en ligne], YouTube, 19 mai 2015 (consultée le 26 août 2016) :

https://www.youtube.com/watch?v=Kxyy0THLfuI&noredirect=1

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