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Co-design en mode Minor Activism

A partir de deux études de cas, Lenskjold T.U., Olander S., Halse J. (2015) nous font partager une approche de co-design ancrée dans une démarche de design critique et engagée dans des processus de participation plutôt que de persuasion, ce qu’ils nomment Minor Design Activism (1). Depuis les notions de design participatif des années 70 en Scandinavie jusqu’à notre époque, différentes formes de co-design sont apparues. Les cas démontrés dans cette étude s’inscrivent dans le contexte de politiques publiques et développent des méthodes issues des recherches menées à la Royal Danish Academy of Fine Arts, School of Design, dans une approche intrinsèque au processus de design lui-même, plutôt que reliée à des fins politiques définies a priori.

Le positionnement s’inspire des concepts élaborés par Gilles Deleuze et Felix Guattari dans différents écrits sur le couple majeur-mineur. Par rapport au système homogène du majoritaire imposant ses normes et sa domination, le minoritaire est vu comme « devenir potentiel pour autant qu’il dévie du modèle », et comme source de créativité.

Ce qui est appelé « A minor design activism » se présente alors comme une stratégie de co-design :

(…) in which the initial design program is brought into flux to allow for subtle redirections in the collective assessment of the present and for speculative actualizations of desires toward possible futures (2).

Petit historique du co-design

Un certain nombre d’approches centrées utilisateur sont apparues depuis une cinquantaine d’années. Dans le contexte du design participatif en Scandinavie dans les années 70, cela s’opposait aux idées dominantes des chefs d’entreprises. Les années 90 ont vu cette mouvance du design participatif prendre de l’essor en Amérique du nord à la faveur des évolutions technologiques. Celui-ci tant en Amérique qu’en Scandinavie s’est éloigné progressivement, selon les auteurs, de la dimension politique pour développer des outils et techniques générant l’empathie et la participation des usagers dans des sessions de co-création. Depuis une dizaine d’années, le social et le politique comme objet de design ont fait émerger un co-design permettant de nouvelles façons de penser les relations sociales (3).

Björgvinsson, Ehn and Hilgren have characterized this exploration as a notable shift in participatory design : from democracy at work to democratic innovation.

Les auteurs soulignent les influences d’un certain nombre de penseurs comme Bruno Latour et la théorie de l’acteur-réseau (4), l’importance de l’interdisciplinarité avec le recours à des disciplines comme l’anthropologie, l’ethnologie et la nécessité d’articuler les méthodes issues de ces disciplines avec le désir d’entraîner le changement propre au design, dans le cadre d’actions associant des participants de divers horizons :

Facilitating a two and a half-hour encounter among, for example, municipal waste planners, engineers, garbage collectors, residents, caretakers, and shop owners requires careful preparation to allow them all to participate actively, as well as to appropriate the available tools and materials they need to express their particular concerns and aspirations, but in ways that are also open for challenges and negociation from the other parties who come from different backgrounds.

De l’action du design pour favoriser l’engagement des usagers dans un  quartier de Copenhague

Un projet pour une bibliothèque de quartier à Copenhague a débuté par l’observation des activités d’un groupe de jeunes qui s’étaient auto-organisés  dans un centre d’accueil au sous-sol de cette bibliothèque, n’en n’étaient pas des usagers mais avaient au contraire plutôt des contacts conflictuels avec celle-ci. Un contact était pris également avec une responsable d’un projet de réaménagement d’un parc proche, lieu de rencontre également de ces jeunes. Un premier travail de terrain a consisté à recueillir leurs témoignages qui devaient montrer quels étaient leurs endroits préférés. Toute option qui aurait pu être dégagée à priori des données issues des récits de ces jeunes pour le réaménagement du parc a été mise de côté au profit de scénarios permettant une poursuite fructueuse du dialogue avec les adolescents, via l’écriture d’un livre à partir de leur histoire en lien avec leur vie dans ces endroits. Il s’agissait de leur permettre d’imaginer un futur à partir de leurs pratiques actuelles, plutôt que simplement de récupérer de l’information pour faire des propositions d’aménagement :

Rather than serving as a directly goal-oriented endeavor to redesign the park, the what-if question helps to elucidate the minor of « what is ». As a minor design tactic, this move insists on speculating with what is, thus collapsing the possible into the present.

Gestion des ordures ménagères, vandalisme et participation citoyenne

La deuxième étude présentée dans l’article se rapporte à cette question dans un quartier multiculturel de Copenhague où les designers ont travaillé avec un groupe de femmes turques. Ils se sont aperçus que c’était en priorité les enfants qui étaient chargés  de descendre les ordures ménagères des appartements. Se démarquant des mesures éducatives officielles  basées sur la culpabilité, ils ont organisé une chasse aux trésors à partir de quelques règles simples concernant les découvertes et l’évaluation des déchets. Une vingtaine d’enfants ont joué le jeu et imaginé comment les différents déchets pouvaient être recyclés. Le projet mené avec les enfants avait pour objectif de montrer des voies de coopération fructueuse entre des actions initiées par les habitants, la municipalité et les professionnels du secteur des déchets.

L’analyse de ces exemples montre, selon les auteurs, le besoin d’aborder les problèmes de manière différente. Par exemple les réglementations et procédures transmises par écrit, dans le cas étudié des déchets ménagers, ne fonctionnent pas avec des enfants chargés de les descendre des appartements et pour qui c’est surtout une occasion de retrouver des amis pour jouer. Ils fonctionnent comme des rappels à l’ordre pour des habitants sensés être paresseux et ignorants au lieu de susciter des initiatives faisant passer d’un rôle passif de citoyens face à un service,  à un rôle actif de citoyens capables d’initiatives.

Se référant aux théories de Marcelo Svirsky, les auteurs dégagent 3 aspects nécessaires pour conceptualiser les principaux caractères reliés à cette approche du design :

(…) as challenging stratification by continually opening the design process for an ongoing, collective re-negotiation of the existing conditions ; as a simultaneously analytical and tactical engagement that operates from within existing socio-political and material realities in a given situation ; and as using generative tools to inquire into existing conditions and collectively speculate about alternative configuration of the actual.

Le transfert au design du concept d' »agencement collectif d’énonciation » de Deleuze et Guattari définit un positionnement et des processus qui ouvrent la voie vers une nouvelle façon de voir les choses et de penser les moyens d’actions du design. L’article témoigne d’une démarche qui s’inscrit dans cette mouvance pluridisciplinaire où l’action transformatrice du design et ses responsabilités sociales et politiques se conjuguent avec des outils d’analyse et concepts des sciences humaines. Le principe n’est pas nouveau mais les modes d’interaction entre disciplines deviennent un véritable champ de recherche en eux-mêmes, avec une évolution des modèles théoriques qui ouvrent toujours plus largement les domaines d’intervention du design et ajoutent de nouveaux chapitres à son histoire (5). Le design en tant que terme générique, tel qu’il peut être utilisé dans l’expression design social par exemple, engendre en effet de nouveaux paradigmes à interroger et problématiser dans le contexte des différentes trajectoires des pratiques de design, de l’évolution des métiers, des délimitations entre experts et citoyens, des enseignements du design et de son impact social, politique et économique.

Notes et références des auteurs :

1 – Tau Ulv Lenskjold, Sissel Olander, Joachim Halse, « Minor Design Activism : Prompting Change from Within, Design Issues, Vol. 31, N° 4, Autumn 2015, p. 67-78.

2 – les auteurs renvoient aussi aux écrits de Marcelo Svirsky, Deleuze and Political Activism, Edinburgh : Edinburgh University Press, 2010.

3 – Erling Björgvinsson, Pelle Ehn, Per-Anders Hillgren, »Participatory Design and Democratizing Innovation », Proceedings of the 11th Biennial Participatory Conference, Sydney : ACM, 2010, p. 41-50.

4 – Bruno Latour, Reassembling the Social : An introduction to Actor-Network-Theory, Oxford : Oxford University Press, 2005.

5 – Cette dynamique s’inscrit dans les recherches sur le design et le développement d’une pensée critique menées depuis plus de 30 ans, surtout depuis les années 90. Les actions de terrain se développent comme le montrent les initiatives de la 27e Région en France et le lancement de programmes de recherche autour du design des politiques publiques et de l’innovation sociale (pour exemples : le programme de recherche en design et Action publique innovante développé par le design lab Care dirigé par Gaël Guilloux à l’École de design Nantes Atlantique et les recherches Design et innovation sociale du groupe de recherche Projekt lancé par Alain Findeli et co-animé avec Stéphane Vial, Université de Nîmes, rattachement à l’Institut ACTE UMR 8218, Université Paris 1 Sorbonne, CNRS.

Notons que ces évolutions dans le domaine du design  sont évidemment très liées aux recherches des sociologues et anthropologues engagés sur les usages. Pour les historiens, cela augure de nouvelles grilles d’analyse pour aborder un design sans artefact au sens classique du terme.

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