Dans son article « Making Things Happen : Social Innovation and Design »(1), Ezio Manzini donne des exemples d’innovation sociale menée par des non designers, en soulignant que leur démarche innovante, en rupture avec les modèles dominants, leur confère de fait un statut de designer. En parlant de Franco Basaglia, grande figure de la psychiatrie alternative et Carlo Petrini, fondateur du mouvement international Slow Food, il qualifie leur démarche de stratégie de design définie par trois types d’actions interdépendantes :
– identifier un problème et des ressources sociales (compétences des personnes) pour y remédier
– proposer un modèle organisationnel et économique permettant de valoriser ces ressources et susceptible d’être reproduit en d’autres contextes
– communiquer entre les différentes initiatives pour les inscrire plus largement dans une cohérence.
L’auteur démontre que l’innovation sociale, si elle a toujours existé, prend à notre époque de nouvelles formes en réponse aux problématiques du développement durable et aux enjeux sociétaux, économiques et environnementaux qui lui sont associés. Qu’elle soit sur un modèle Top-Down ou sur un modèle Bottom-Up de mouvements de citoyens pour la création de services collaboratifs (2), elle relève de démarches, d’objectifs, de façons de penser, caractéristiques de démarches de design.
Mais Ezio Manzini souligne que l’innovation, pour s’inscrire véritablement dans la durée, dépend le plus souvent d’interactions hybrides entre les formes Bottom-Up et Top-Down et que les designers professionnels ont un rôle important à jouer.
Les recherches menées dans ces domaines au département design du Politecnico de Milan, et un certain nombre de projets européens et à l’échelle internationale, montrent effectivement l’importance du rôle du design pour générer, à partir d’initiatives locales et d’un design participatif avec les gens de terrain, des propositions « durables » à plus grande échelle. Le réseau international d’écoles et d’universités de design DESIS (The Design for Social Innovation for Sustainability) créé en 2009 témoigne de ces nouvelles formes de design.
L’auteur montre que le champ d’intervention du design peut être très large. Les designers professionnels facilitent le dialogue au sein de différentes parties prenantes , à différentes échelles, en situation de co-design (maîtrise d’ outils créatifs, de représentation et d’expérimentation – dessins, maquettes…-, développement de modèles favorisant la conceptualisation et la mise en oeuvre de solutions pour la création de services et artefacts). Ils ont également un rôle d’avenir en tant que design activists :
(…) operating in this way, designers can make the best use of their specific sets of capabilities and their special sensitivity. Therefore, they can be very effective in sparking off new initiatives and shaping dynamic social conversations about what to do and how. In other words, « making things happen » seems to be the most concise way to express what could be the most effective and specific role of the designers.
Le sujet traité par Ezio Manzini dans cet article révèle « l’extension du domaine du design » (2) auquel l’auteur participe depuis de nombreuses années. L’ouvrage à l’initiative de la 27e Région, Design des politiques publiques (2010) (3), montre que des actions diverses se mettent en place, relayées par de jeunes designers engagés. Le Que sais-je ? sur le design par Stéphane Vial (2015), préfacé par Alain Findeli, s’inscrit dans ce contexte de faire connaître au plus grand nombre le design comme discipline et culture du projet (3), dont les champs d’investigation et les méthodes ne sont pas cantonnées à l’approche artistique du design d’objet. L’ouvrage Design de service public en collectivité locale, le passage à l’acte, à l’initiative du Département de Loire-Atlantique et de l’École de design Nantes Atlantique, s’inscrit aussi dans cette veine montrant comment concrètement une approche de design peut s’implanter au sein d’une collectivité pour repenser le service à l’usager et favoriser la co-construction de projets rassemblant différents acteurs (6).
Notes :
1 – Ezio Manzini, « Making Things Happen : Social Innovation and Design », Design Issues, Design & Innovation : How many ways ?, Volume XXX, Issue 1, Winter 2014, p. 57-66. Le numéro 30 de la revue était consacré à des articles issus de conférences à Milan en 2011 (the fifth Designing Pleasurable Products and Interfaces (DPPI) conference). Ils offrent différents points de vue et ouvrent des débats sur les questions de Design et innovation.
2 – Il donne les exemples des jardins partagés à l’initiative de jardiniers volontaires au moment de la crise financière de la ville de New-York dans les années 1970 ou de l’association de petits agriculteurs soucieux de préserver des savoirs traditionnels et de promouvoir de nouveaux modèles économiques porteurs de qualité de vie comme à Liuzhou (Guangxi, Chine).
3 – Voir Stéphane Vial, « Extension du domaine du design : redéfinitions », chapitre 3, Le Design, Que sais-je ? PUF, Janvier 2015, 128 pages.
4 – Collectif, Design des politiques publiques, 27e Région, la Documentation française, 2010.
5 – Petite histoire du design en France à travers les Que sais-je ? – Voir Denis Huisman, Georges Patrix, L‘Esthétique industrielle, Que sais-je, 1961 et Denis Schulman, Le design industriel, Que sais-je, 1992.
6 – Présentation des ces deux ouvrages à Superpublic le 4 février 2015, ainsi que l’ouvrage Design for policy, co-écrit par Christian Bason (MindLab danois) et une quinzaine de contributeurs internationaux (dont Stéphane Vincent, 27e Région, François Jégou Strategic Design scénarios, Romain Thévenet, design de service), éd. Ashgate.