1970-71 – 2010-11, mêmes questions ? quelles questions se posent les jeunes designers actuellement ?
Suite des lettres de jeunes designers des années 1970 adressées à l’ICSID
La revue « Design Industrie » publie en décembre 1971 (n° 106) un certain nombre de lettres adressées à l’ICSID (International Council of Societies of Industrial Design) par des étudiants en design de 34 pays. L’ICSID avait en effet souhaité établir un dialogue avec de jeunes designers. Nous avons fait paraître sur ce blog les écrits d’un jeune designer de Taïwan, d’un jeune designer autrichien, d’une jeune designer anglaise, d’un jeune designer français et d’un jeune designer indien.
Après une rapide synthèse des contributions précédentes, nous publions ci-dessous la lettre d’un jeune designer suédois qui par son côté très polémique rejoint la lettre du jeune designer autrichien. Ce dernier faisait part d’inquiétudes face à « l’exploitation inconsidérée » de la technologie et à une économie et politique axées sur le profit en priorité. Il soulignait les risques d’exploitation inconsidérée des ressources planétaires et une perte du sens des « besoins réels ».
Le jeune designer de Taïwan soulignait :
– une confusion entre design et art pour la majorité des gens
– une approche du design venant de professeurs ayant étudié en Allemagne ou au Japon
– un manque d’accès à des livres en chinois sur le sujet et un besoin de plus de contacts avec d’autres pays passant par des traductions en anglais
et posait les questions suivantes :
– quelles compétences doit avoir un designer industriel ?
– quelles sont les frontières de la profession ?
La jeune designer anglaise était aussi très polémique et regrettait que les formations au design fussent plutôt destinées à une élite, privilégiant les aspects artistiques et ne préparant pas à intervenir dans une production conduite par « des ingénieurs, des technologistes de l’ordinateur, des politiciens, des juristes et des entrepreneurs ». Quel rôle jouer « dans leur design » ? Elle prônait d’introduire dans le design méthode de travail et processus structuré auxquels pourraient contribuer les autres disciplines. Le design devait être impliqué dans » l’innovation industrielle » et elle concluait :
Peut-être l’industrial design souhaite-t-il continuer à s’adresser à une élite. Si c’est le cas, le besoin d’une méthode de design n’existe pas et la formation peut continuer suivant ses vieilles formules. Ce pourrait être une question intéressante à étudier au Congrès. En outre, ou pourrait essayer d’évaluer le pourcentage de la production industrielle qui contribue à l’environnement, en dollards ou en tonnages, dont l’industrial designer est responsable. Peut-être un des buts du Congrès pourrait-il être de prévoir une augmentation de ce pourcentage, et de laisser les futurs designers y participer.
Le jeune designer français renvoyait à la seule structure en France lui paraissant répondre à ses préoccupations, l’Institut de l’Environnement (projet qui finalement a été très éphémère). Il soulignait les difficultés d’insertion professionnelle du designer dans les entreprises au niveau de la conception des produits industriels, même avec une formation d’ingénieur à la base. Il trouvait plus pertinent de poser la question « Que peut le design ? » par rapport à la dégradation esthétique de l’environnement, plutôt que de chercher à définir le design :
Si effectivement le design arrivait à corriger, modifier l’environnement réel, à créer l’environnement futur, la question « qu’est le design ? » n’aurait plus aucun intérêt : ses propres preuves lui suffiraient.
Mais pour cela il fallait que le designer pût intervenir dans les décisions de conception laissées presque exclusivement « aux responsables techniques et aux commerciaux » et il rajoutait :
Quand, dans certaines entreprises la notion de designer est considérée autrement qu’une notion de stylisme, il est remarquable de constater qu’il n’est qu’une composante d’une politique marketing. Le design devient alors un processus rétroactif et surdéterminé de création.
Le jeune designer français en appelait au travail pluridisciplinaire tant dans l’étude des besoins que dans celle des moyens à mettre en oeuvre pour les réponses.
Le jeune designer indien mentionnait le côté embryonnaire de la discipline dans son pays et posait la question des priorités et besoins. Il insistait sur la place centrale tenue par le design des ingénieurs et le credo du « fonction d’abord ». D’autres définitions, d’autres aspects du design devaient être envisagés, libérés des inhibitions coloniales et traditionnelles.
Lettre de Tilman Fuchs, Suède – Design industrie n° 106, 1971
1 – Vous définissez ICSID comme une organisation de professionnels et placez les étudiants dans un groupe à part. Les étudiants en design sont des partenaires équivalents et doivent avoir les mêmes droits dans le groupe. Nous avons besoin de travail d’équipe pour résoudre tout à la fois les problèmes immédiats et à venir de l’industrial design.
2 – Comme étudiants, nous allons définir l’avenir d’une certaine façon, mais puisqu’il n’existe pas de recherche libre et indépendante en industrial design comme dans d’autres domaines, nous aurons besoin d’un forum permettant la communication à l’échelle mondiale de l’information.
Je pense que c’est la fonction la plus importante d’ICSID et que cela nous permettra d’abord de faire un travail ayant un sens. Les étudiants d’autre part pourraient apporter une inspiration unique permettant une évolution continue par des impulsions neuves.
3 – Les designers sont supposés créer notre environnement qui est sensé devenir plus humain. Mais la plupart des designers servent un marché et ses dernières modes, faisant des affaires en manipulant l’esthétique et cela attire au design une fâcheuse réputation. Au lieu d’essayer de gouverner, nous sommes formés à devenir les esclaves de l’industrie. Pour en sortir, il faut se demander à quoi doit servir un designer et où il se situe par rapport à l’industrie. Notre réalité est guerre, violence, pauvreté et famine, la plus grande partie du monde est un taudis et la majorité des designers travaille dans des îlots de luxe.
L’industrial design avec toutes ses théories a surtout contribué à détruire l’environnement humain. (…)
4 – Je n’ai aucune idée du type de programme qui pourrait être mis au point pour rendre les designers conscients de ces problèmes. (…)
1 – You define ICSID as an organization of professionals and make the students designers to a special group.
Students designers are equivalent partners and must have the same rights in the group. We need a teamwork for to solve all together the present and future problems in the field of industrial design.
2 – As students now we are going to design the future somehow, but since there is no free and independant research in industrial design like in other fields, we will need a forum for worldwide communication and information. I think that is the most important function of ICSID and will first make it possible for us to do a meaningful job. The students on the other side could give a unique inspiration for continuous evolution through fresh impulses.
3 – Designers are supposed to make our environment – which is to take as a sketch – more human. But the majority of designers are serving a market and his latest fashions, making business by manipulating with aesthetics. They are bringing the idea of a designer in very bad reputation. Instead of trying to steer, we are educated to be slaves of the industry. The way to come out of this, is to ask, what is a designer for and where is his place in relation to society.
Our reality is war, violence, poverty and starvation, the bigger part of the world became a slum and the majority of designers is working on islands of luxury in this slum. Industriel design with all its differents theories mostly helped to destruct a human environment. (…)
4 – I have no idea what kind of programmes could be developped for to make designers conscious about these problems. (…)
Une réponse à “Lettre d’un jeune designer suédois en 1971”