Cet article relate et analyse le témoignage de Georges Combet (directeur général de Gaz de France et président de l’Institut d’ Esthétique industrielle – France) sur le « rôle de l’esthéticien industriel dans la société », question soulevée lors du deuxième congrès de l’icsid à Venise en 1961 (1). Voir l’article précédent se rapportant à Sigvard Bernadotte sur la même thématique, icsid Venise 1961 (1).
L’industrial designer « compositeur industriel »
Cette définition proposée par Georges Combet lui semble la mieux appropriée pour définir un métier qui a une fonction différente de l' »artiste décorateur ». Il ne s’agit pas d' »habiller » l’objet mais de le composer selon les exigences d’un programme. Cependant le travail sur les « formes fonctionnelles » revendiquées par les designers industriels va t-il disparaître au profit de l' »esthétique du carter », de l’enveloppe, renvoyant ainsi le designer à la fonction d’artiste décorateur dont il a voulu se démarquer ? En effet l’évolution des matériaux qui se présentent presque tous « sous le même aspect de pâte informe », les progrès de l’électronique qui conduisent à « l’invisibilité des structures », la minimalisation de la forme qui « peut aller jusqu’à sa complète disparition » conduisent à un « contenant sans rapport apparent avec le contenu ».
Plus de poignées de porte dans nos ascenseurs. L’ouverture et la fermeture sont automatiques, comme aussi, sous l’effet d’un rayon invisible, sans aucun mécanisme apparent, les portes d’un garage ou d’un hall. Et nous voici en présence du stade ultime où semble bien nous mener immanquablement la loi d’évolution des formes utiles. La fonction dévore la forme. La forme devient inutile. Il n’y a plus de forme du tout.
Faut-il alors sonner le glas de l’esthétique industrielle ou tout au moins en réduire le champ d’action aux seuls objets où la machine ne parvient pas à suppléer le geste humain : le mobilier, les accessoires de la table, les outils à main ou à pédale ?
(…) mettre de l’ordre dans les objets qu’inventent, non sans hâte et confusion, les techniciens et qui sont les principaux attributs du monde neuf où nous vivons.
Georges Combet ne sonne évidemment pas le glas de l’esthétique industrielle. Sa réflexion visionnaire reflète une nécessaire mutation de la cohésion formelle, structurelle et fonctionnelle chère aux fonctionnalistes.
Je pense que l’art doit étendre son domaine, pousser sa pointe en profondeur à travers les apparences sensibles, pénétrer les problèmes techniques de composition où la notion du beau n’a pas cours. Le concours sans réserve de la sensibilité artistique me paraît le remède propre à corriger ce que notre civilisation technicienne a de discordant et d’inhumain. Et une telle mission peut être, sans abus de terme, qualifiée d’esthétique, si l’on prend ce mot au sens étymologique qui le rapproche des notions de sentiment, de sensibilité, et non pas de la notion étroite de beau. (…) Ne nous effrayons donc pas trop en constatant que nous nous acheminons vers une esthétique de l’invisible.
On peut voir là une forme de réponse à l’interrogation de Sigvard Bernadotte qui se demande ce qu’on fera « lorsque les produits auront finalement atteint l’état de perfection », évoquant ce cadre de pensée du fonctionnalisme en correspondance avec les théories de l’art sur la vie des styles. Je pense en particulier à la « Vie des formes » de Henri Focillon définissant le classicisme comme « point de la plus haute convenance des parties entre elles » (2).
Dans le témoignage de Bernadotte comme dans celui de Georges Combet une autre correspondance peut être établie avec certains courants de l’art moderne dans sa dimension de quête spirituelle. Lorsque Bernadotte parle de « purete de pensée » et Combet d’une réussite parfaite lorsque la forme de l’objet répond à « une nécessité intérieure », nous pensons à Kandinsky ;
Est beau ce qui procède d’une nécessité intérieure de l’âme. Est beau ce qui est beau intérieurement (3).
Dans ce début des années soixante et depuis déjà quelques années, le design issu de la branche art et technique a revendiqué son territoire propre en tant qu' »art qui ne relève ni des beaux-arts, ni des arts décoratifs, ni de la technique pure » (4), le cadre théorique du fonctionnalisme est interrogé mais on perçoit toujours la force d’une pensée imprégnée de la dimension spirituelle des pionniers issus de la culture symboliste du siècle passé.
Note :
1 – Esthétique industrielle, n° 52-53, p. 45-46.
2 – Henri Focillon, Vie des formes (1934), Paris, Presses universitaires de France, 6ème édition 1970, p. 19.
3 – Kandinsky, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier (1912), Paris, Denoël/Gonthier, 1969, p. 175.
4 – Propos de Jacques Viénot, Esthétique industrielle, n° 1, 1951.
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