L’histoire des arts à la fin du XIXe siècle témoigne de bouleversements comparables à ceux de la Renaissance des XVe et XVIe siècles. Les bouleversements environnementaux, sociaux et culturels, engendrés par l’industrialisation, ont amené nombre d’artistes à penser que leur rôle était de devenir les créateurs des objets du quotidien, afin de permettre à la production de série de retrouver la dimension humaine de la production artisanale.
« De la petite cuillère à la ville »
disaient les pionniers du design industriel au début du siècle.
L’alliance des arts et techniques prenait des allures messianiques, dans un jeu ambivalent de méfiance et fascination réciproques. Les premières théories du design apparaissaient, donnant lieu à des débats sur les rapports entre formes et fonctions, nouveaux matériaux et procédés de fabrication, production artisanale et production mécanisée, débats qui semblent dépassés aujourd’hui, mais pourtant ressurgissent régulièrement dans les questions sur le design. L’Europe a connu au début du XXe siècle une effervescence créatrice qui a généré un engouement pour le formidable développement des techniques et des sciences mais aussi beaucoup d’inquiétudes. L’écrivain autrichien Stefan Zweig dans un livre-témoignage(1) essentiel et bouleversant sur l’Europe d’avant 1914 décrit « la profession de foi en son époque, (…) en l’avenir », du poète belge, son ami Émile Verhaeren, « (…) Tandis que pour les autres la machine était le mal, les villes le hideux, le présent, l’antipoétique (…) ». Les dangers pressentis de déshumanisation dans une société technicienne régie par une économie capitaliste ont été à l’origine de tout un courant de pensée fondateur d’un projet social de la modernité, en particulier dans l’architecture, les arts décoratifs et ce qu’on appellera plus tard le design.
La beauté utile et l’art pour tous
Dans la deuxième moitié du XIXe et au début du XXe siècles, les questions se focalisaient sur l’esthétique des produits de l’industrie. C’est en Angleterre, devenue la plus grande puissance industrielle au XIXe siècle, qu’une résistance esthétique a pris la forme d’une première croisade en faveur d’un retour aux valeurs créatrices de l’artisanat. La place des artistes et des artisans dans un système de production industriel y était largement débattue, avec des prises de position contradictoires sur le chemin conduisant au progrès. Pour William Morris, père fondateur du mouvement des Arts and Crafts, prôner la création de modèles par les artistes était indissociable de son engagement révolutionnaire pour une société plus juste, même s’il n’était pas dupe du caractère élitiste des produits réalisés par ces nouveaux artisans. A la même époque en France, de nombreuses écoles d’arts appliqués furent créées par des municipalités ou dans un cadre privé, pour « venir en aide à des entreprises florissantes qui viennent à manquer de dessinateurs de modèles (…) »(2). L’engouement en faveur de la formation de ces artistes industriels s’inscrivait dans tout un courant de débats sociaux, économiques et politiques qui a fait émerger à la fin du siècle une nouvelle posture de l’artiste face à l’industrie. Les créateurs des Arts and Crafts avaient montré qu’il n’était pas seulement question de dessin mais aussi de volonté de maîtriser la totalité d’un projet, de la conception à la réalisation. Le credo était celui de la « beauté utile»(3), de l’art pour tous et de l’art dans le quotidien, bases d’un nouvel humanisme et d’une nouvelle spiritualité. La reproduction en série des ornementations historicistes tant appréciées par la bourgeoisie de l’époque était à proscrire. Le prestige des avant-gardes artistiques (Art nouveau, Constructivisme, Bauhaus) engagées dans cette mission a été conforté par les premiers écrits d’historiens comme Nikolaus Pevsner(4). Ceux-ci ont placé l’histoire du design dans une histoire générale de l’art construite sur l’idée d’un progrès social apporté par les artistes en rupture avec l’Académisme. L’idéalisme de cette vision ne doit pas faire oublier les intérêts économiques en jeu. L’histoire de cette période nous montre aussi que la revendication actuelle du design au service de la compétitivité des entreprises était déjà largement présente. Elle s’est pleinement déployée aux Etats-Unis dans les années 1930, à travers l’élaboration d’un langage de formes aérodynamiques (Streamline), expression d’une modernité qui devait relancer la consommation après la crise. Elle a permis le développement des métiers du design dans les années de la Reconstruction, après la Deuxième Guerre mondiale, dans un contexte polémique sur ce que devait être « le bon design », entre visées humanistes et visées commerciales. En France, la question des finalités du design a été soulevée dans « La Charte de l’esthétique industrielle » écrite sous la présidence de Jacques Viénot et publiée en 1952 : « L’esthétique industrielle ne peut faire abstraction de la finalité des ouvrages produits industriellement (…) Les productions industrielles qui possèdent, en raison de leur objet, un caractère de noblesse et qui sont de nature à aider l’homme à progresser, ou qui sont susceptibles d’avoir une influence salutaire dans le domaine social, jouiront d’un préjugé favorable. En revanche, les engins qui ont pour fin la destruction humaine ne sauraient prétendre à une admiration sans réserve »(5).
Notes :
1 – Stefan Zweig, Le Monde d’hier, Bermann-Fischer Verlag AB, Stockholm, 1944 (réédition Livre de poche 2008).
2 – Stephane Laurent, L’Art utile, les écoles d’arts appliqués sous le Second Empire et la Troisième République, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 13.
3 – Cette pensée de l’esthétique fut particulièrement défendue par le philosophe Paul Souriau dans son ouvrage, La beauté rationnelle, Paris, éd. Félix Alcan, Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1904.
4 – Nikolaus Pevsner (1902-1983), Pioneers of the Modern Movement, New York, Museum of Modern Art, 1936. Réédition à partir de 1949 sous le titre Pioneers of Modern Design, trad. en français, Les sources de l’architecture moderne et du design.
5 – Jocelyne Le Bœuf, Jacques Viénot (1893-1959), Pionnier de l’Esthétique industrielle en France, PUR, 2006, p. 106.
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Excellente fin de journée
Bonjour
Je vous autorise la reprise de cet article, mais si il y a coupure, je souhaiterais pouvoir valider.
Merci de votre intérêt pour mon blog
Bien cordialement
Jocelyne Le Boeuf